Vie privée, identité et propriété intellectuelle

Article mis en ligne le 7 février 2007

Depuis des années, trois grands enjeux de société agitent l’univers numérique : la question de la protection de la vie privée (ou de l’exigence de sécurité) ; la question de la liberté d’expression (ou du contrôle des contenus) et enfin, la protection de la propriété intellectuelle (ou la défense du libre partage des contenus). Si le débat entre transparence (liberté d’expression) et secret (respect de la vie privée) est assez classique il existe également des liens multiples, pas forcément univoques et semble-t-il de plus en plus fréquents entre les thèmes vie privée, identité numérique et propriété intellectuelle.

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Il est de nobles objectifs qui, pris séparément, suscitent une adhésion quasi-unanime mais qui, en pratique, peuvent se révéler potentiellement contradictoires. Bien peu sont ceux qui ne défendent pas à la fois le droit des auteurs à vivre de leurs œuvres et la protection de la vie privée. Reste-t-il possible pour autant d’avoir à la fois l’un et l’autre ? Ne sommes nous pas condamné à faire, ou à subir, des choix qui conduiront à faire prévaloir un principe sur un autre ?

Avec la numérisation de tous les contenus et leur diffusion en ligne, il devient trivial pour chaque utilisateur de multiplier les copies illicites d’œuvres qu’il s’agisse de musiques ou de flims. La défense de la propriété intellectuelle impliquera alors que l’on puisse suivre les usages que les utilisateurs font des œuvres numériques. Du point de vue des ayants droits cette vérification est naturelle car l’usager n’est pas le véritable propriétaire du fichier mais une personne à qui on a accordé un usage avec des restrictions. Rien de nouveau finalement par rapport à l’acheteur d’un livre en librairie qui ne peut prétendre ensuite disposer d’un droit de propriété sur l’objet lui permettant de réaliser d’innombrables photocopies afin de les revendre ou de les donner.

Une des innovations de la loi Informatiques et Libertés d’août 2004 par rapport à sa célèbre devancière de janvier 1978 portait justement sur la possibilité désormais offerte aux sociétés de gestion collective de droits d’auteur (comme la Sacem) de mettre en place des outils collectant les adresses IP d’utilisateurs se livrant à des actes de téléchargement illicite. Cette disposition, tout de même soumise à l’autorisation préalable de la Cnil, avait été vivement critiquée au moment de l’adoption de la loi par des observateurs qui y voyaient une forme de privatisation de la justice motivée par des impératifs commerciaux.

 Le risque d’une surveillance massive des réseaux P2P

En octobre 2005, la Cnil avait ensuite refusée la demande d’autorisation formulée par la Sacem et trois autres organismes (la SDRM : Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique, la SCPP : Société civile pour l’exercice des droits des producteurs phonographiques et la SPPF : Société civile des producteurs de phonogrammes en France). L’autorité administrative indépendante avait alors estimé que les dispositifs envisagés avait une portée trop générale et pouvaient conduire à une collecte massive de données à caractère personnel et à la surveillance généralisée des réseaux P2P.

Il ne s’agissait pas à l’évidence pour la Cnil de faciliter la tâche des petits ou grands pirates mais bien de s’opposer à la première étape d’un processus pouvant aboutir à l’observation permanente des pratiques culturelles en ligne. Sans sombrer dans la paranoïa, force est de constater que le choix des individus par exemple en matière de films permettrait d’établir des profils fondés sur les sensibilités politiques, philosophiques ou religieuses.

Si les enjeux sont importants, la mobilisation militante n’est pas pour autant forcément au rendez-vous. Au cours de ces dernières années, le militantisme sur Internet s’est en priorité focalisé sur le thème du partage de l’information et de la défense du logiciel libre contre la supposée hégémonie économique des majors ou des géants du logiciel propriétaire. Le vote de la loi DAVDSI en 2006 en a été une flagrante illustration. Dans le domaine des atteintes à la vie privée, le militantisme semble aujourd’hui en France moins puissant et il demeure cantonné à un nombre plus restreint d’acteurs.

La liaison entre les deux univers militant pourrait contribuer à changer la donne. Avec le palmarès 2006 de l’édition française des Big Brother Awards pour la catégorie secteur privée, les activistes de la défense de la vie privée ont en effet « récompensé » une major, en l’occurrence Sony-BMG qui s’était illustrée avec un logiciel de surveillance inséré, à l’insu des utilisateurs, dans les CD. Les initiateurs de cette manifestation ont confirmé à leur manière la grande sensibilité pour l’intimité des utilisateurs des technologies supposées contribuer à la défense de la propriété intellectuelle.

L’approfondissement de l’alliance entre les deux univers militants pourrait contribuer à la montée en puissance de la thématique protection de la vie privée dans l’univers des réseaux. Si, dans le même temps des formes de télé perquisitions commencent à voir le jour dans les ordinateurs des particuliers, les jeunes générations, plutôt enclines à valoriser la transparence si l’on se réfère au contenu des blogs, pourraient découvrir subitement les bienfaits de la confidentialité et de la protection sinon de la vie privée du moins des fichiers MP3.

 Du DRM au PRM

Dans ce contexte, il peut paraître paradoxal voire provocateur d’envisager que les DRM (Digital Right Management) puissent constituer une réponse aux atteintes à la protection des données personnelles dans l’univers numérique. Ces technologies qui visent à contrôler l’usage et la diffusion des contenus numériques sont traditionnellement abhorrées par les adeptes de la libre circulation de l’information. Pourtant, on comprend aisément qu’un même outil puisse être utilisé pour éviter le piratage ou pour limiter la diffusion d’information confidentielle. Dans le premier cas une société d’édition musicale accorde le droit à un consommateur d’avoir accès à un contenu musical mais lui interdit d’en faire une rediffusion à des tiers. Dans le second cas, un patient pourrait faire de même avec son dossier de santé vis-à-vis d’un professionnel de santé. Il y a quelques années un entrepreneur américain du domaine des technologies de protection de la vie privée avait même tenté de populariser le concept de PRM pour Privacy Right Management. Aujourd’hui des grands de la Gestion documentaire ou de jeunes entreprises innovantes commencent à proposer des technologies qui permettent d’associer à un fichier des droits d’accès limités ou une durée de vie au terme de laquelle le contenu ne sera plus lisible.

En fonction des usages et des pratiques qui se développeront, le débat entre protection de la vie privée et protection de la propriété intellectuelle ne se limitera pas à une opposition simpliste entre deux camps irréconciliables. Il faut sans doute s’en réjouir.

Arnaud Belleil

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