Dématérialisation et développement durable

Article mis en ligne le 19 septembre 2007

En supprimant l’usage du papier, la dématérialisation serait une technologie structurellement protectrice de l’environnement, donc favorable au développement durable. Sans être totalement infondée, cette affirmation mérite d’être nuancée. Et surtout, les véritables enjeux développement durable de la dématérialisation se situent sans doute à un autre niveau.

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La dématérialisation qui autorise le remplacement du papier par l’écrit électronique devrait logiquement favoriser une réduction de l’usage du papier, donc contribuer à la préservation des espaces forestiers. La formule « dématérialisation = moins de papier = moins d’arbres abattus = écologie » a toutes les apparences du bon sens. On commence par exemple à le trouver dans l’argumentaire de promoteurs du vote électronique.

Les différents éléments du raisonnement méritent cependant d’être examinés, voire relativisés, pour éviter que la référence au développement durable ne se limite à une instrumentalisation d’un thème à la mode.

En premier lieu, la protection de l’environnement par la mise en œuvre de la dématérialisation doit, pour être effective, prendre en considération les pratiques des utilisateurs en matière d’impression décentralisée. Bien souvent la mise en œuvre d’un projet de dématérialisation permet une réduction drastique voire une suppression complète de l’impression centralisée. En revanche, les utilisateurs de l’application peuvent, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, être incités à imprimer ce qu’ils reçoivent sur leurs écrans. Ce phénomène classique explique pourquoi la généralisation de la bureautique dans les organisations a globalement conduit à une augmentation significative de la consommation de papier, bien loin des promesses du « zéro papier ». Cependant tout n’est pas nécessairement de la faute des utilisateurs. La dématérialisation contribue par nature à une augmentation phénoménale de la production et de la circulation de l’information. Même si la part relative des informations transmises sur support papier baisse de façon importante, la consommation de papier va continuer à augmenter en valeur absolue. La dématérialisation favorisera vraisemblablement à moyen terme une diminution de l’usage du papier mais il faudra sans doute attendre que les jeunes générations ayant appris à lire sur les écrans arrivent à l’âge adulte.

 Les limites du développement durable « à la mode Idéfix »

En second lieu, la rigueur intellectuelle nécessite également de prendre en considération la question du recyclage des matériels informatiques utilisés pour les applications de dématérialisation. C’est à ce prix que l’on obtiendra réellement un bilan écologique équilibré de la mise en œuvre de la dématérialisation. Enfin, même si les spécialistes des technologies de l’information n’ont pas vocation à être des experts de la forêt, il semble bien que l’abattage des arbres ne soit pas obligatoirement une action néfaste. Il peut s’inscrire dans un schéma raisonné de gestion de l’espace forestier. Le papier n’est pas fabriqué avec des essences rares pillées dans les pays en voie de développement.

En se limitant à la thèse simpliste selon laquelle la dématérialisation sauve des arbres et par là même la planète et l’avenir de nos enfants, on se borne à une vision émotive du développement durable avec le risque de passer à côté des réels bénéfices comme la diminution des transports physiques autorisée par l’essor des téléconférences ou du travail à distance. Le développement durable à la mode Idéfix – le petit chien d’Obelix qui pleure à chaque fois qu’un arbre est abattu – atteindra rapidement ses limites et sera considéré au mieux comme de la naïveté et au pire comme une publicité mensongère.

 De la maîtrise des rejets à la maîtrise des traces

Doit-on dès lors considérer que la dématérialisation est un domaine qui reste peu concerné par la problématique du développement durable ? Certainement pas si l’on rappelle que le concept de développement durable repose sur deux piliers fondamentaux, l’un, environnemental et abondamment cité, et l’autre, plus discret, social, relatif à un ensemble de bonnes pratiques de gouvernance relevant d’une démarche de responsabilité dite sociétale.

C’est cette vision globale que l’on retrouve dans les 10 principes du pacte mondial des Nations Unis, et, à l’instar des systèmes de production industrielle qui font l’objet de normes et de certifications orientées vers la protection de l’environnement, sont récemment apparues d’autres normes, telle la SA 8000, élaborée en 1997 par le SAI (Social Accountability International, ex CEPAA, Council on Economic Priorities Accreditation Agency) afin de répondre originellement à la demande des associations de consommateurs, et qui constitue une base de certification éthique fondée sur des grands textes de référence dont la déclaration universelle des droits de l’Homme de l’ONU, et les conventions du Bureau International du Travail.

Alors que l’occurrence de risque de voir votre petit calepin être lu par des millions d’internautes est quasi nulle, la dématérialisation des informations et des outils qui les transportent rend ces dernières plus vulnérables aux indiscrétions les plus diverses, intentionnelles ou accidentelles, occasionnelles ou institutionnelles. Le débat est relativement balisé, qui consiste à opposer les tenants du « tout sécuritaire » aux « gardiens de la vie privée » qui dénoncent la légitimation de politiques de surveillance, voire de mesures de contrôle social dans les pays non démocratiques, fondées sur l’emploi des nouvelles technologies et la dématérialisation des flux, par des impératifs de sécurité. Quoi qu’il en soit, l’atteinte aux droits de l’homme peut être constituée par la remise en cause du droit à la protection de la vie privée.

Les technologies de l’information peuvent également contribuer à la mise en place de dispositifs particulièrement intrusifs de cybersurveillance sur les lieux de travail.

Ces pratiques sont en contradiction avec les principes éthiques qui caractérisent le pilier social du développement durable, alors qu’inversement, le développement de services de protection des données à caractère personnel intégrant par construction les exigences des réglementations informatique et libertés, s’inscrit naturellement dans une démarche de développement durable.

Notamment en cause, les « traces » informatiques que produit massivement la société de l’information, comme la société industrielle a produit et produit encore des « rejets ». Elimination pour destruction, retraitement pour recyclage, ou encore anonymisation pour décontamination…?

Les questions liées à la protection, la gestion, la maîtrise et l’élimination de ces traces deviennent des enjeux de société majeurs qui ont toute leur place dans la sphère du développement durable.

Arnaud Belleil et Bernard Lombardo-Fiault

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