par Eric Barbry
Directeur du Pôle « Droit du numérique »Alain Bensoussan Avocats – Lexing®
Article mis en ligne le 20 décembre 2012
A l’occasion de la parution de la newsletter n°100 de Cecurity.com, Eric Barbry a eu la gentillesse de nous produire un article exclusif sur le droit de la dématérialisation qui, pour lui, devient une obligation légale. Une lecture chaudement recommandée.
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On dit souvent que la dématérialisation va s’imposer à tous pour des raisons d’ordre économique. C’est vrai ! Il est clair que là, dans un monde où l’on veut compresser les coûts et limiter les embauches et si possible ne pas remplacer les partants… la dématérialisation s’imposera comme un élément pivot des (ré)organisations d’entreprises.
On dit aussi que la dématérialisation s’impose également pour des raisons commerciales. Le client (ou le prospect) étant devenu un « homo connecticus », mobile et connecté par nature, il est nécessaire de « travailler » avec lui avec les nouveaux canaux que lui-même utilise. De fait, se développent à vitesse grand « V » des projets de dématérialisation des contrats clients en mode multi-canal.
Mais il y a une autre raison qui impose la dématérialisation et qui va conduire tous les acteurs à y passer, contraints, forcés ou les deux … Le droit !
En effet, de manière assez invisible et pour ne pas dire insidieuse, ce qui était un droit, le « droit » à la dématérialisation, est devenu une « obligation » de dématérialiser.
Du droit à l’électronique à l’obligation de dématérialiser
On sait que, depuis 2000, le droit français et plus largement le droit communautaire reconnaissent un droit à l’électronique en admettant la valeur probante de l’écrit et de la signature électronique. Mais l’on sait aussi qu’en 2000 si l’électronique a été admis à titre probatoire (ad probationem) il n’a pas permis de traiter les cas où la loi imposait un écrit « papier » à titre de validité.
Il aura fallu attendre 2004 pour que soit admis le « droit à la dématérialisation ». En effet, la loi du 21 juin 2004 dite loi pour la confiance dans l’économie numérique est venue modifier le code civil en précisant à l’article 1108-1 que :
« Lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 et, lorsqu’un acte authentique est requis, au second alinéa de l’article 1317. Lorsqu’est exigée une mention écrite de la main même de celui qui s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut être effectuée que par lui-même ».
Mais sans que tout le monde ne s’en rende compte, le droit de la dématérialisation a connu une vraie mutation en imposant à nombre d’acteurs le passage à la dématérialisation, et notamment :
- la loi du 4 août 2008 et le décret du 22 décembre 2011 : « A compter du 1er janvier 2012, l’Etat et les collectivités territoriales qui le souhaitent acceptent les factures émises par leurs fournisseurs sous forme dématérialisée. Les modalités de mise en œuvre de cette obligation sont fixées par décret en Conseil d’Etat. » ;
- l’article 56 du code des marchés publics qui précise que « I. ― Dans toutes les procédures de passation des marchés publics et accords-cadres, les documents écrits mentionnés par le présent code peuvent être remplacés par un échange électronique ou par la production de supports physiques électroniques, selon les dispositions prévues au présent (…) II. ― Le pouvoir adjudicateur peut imposer la transmission des candidatures et des offres par voie électronique… » ;
- la loi de finances rectificative pour 2009 (art 29) – Obligation étendue, à compter du 1er octobre 2012, toutes les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés sont tenues de télédéclarer et télérégler la TVA. 1er octobre 2013 : chiffre d’affaires supérieur à 80 000 € // 1er octobre 2014 : sans condition de chiffre d’affaires ;
- depuis le 1er octobre 2011, toutes les entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à 230 000 € hors taxes ont l’obligation de télérégler l’impôt sur les sociétés. A compter du 1er octobre 2012, toutes les entreprises soumises à l’IS doivent télétransmettre leurs paiements d’impôt sur les sociétés et de la taxe sur les salaires ;
- depuis le 1er janvier 2012, les entreprises, tous établissements confondus qui ont acquitté plus de 100 000 euros de cotisations, contributions et taxes auprès de l’Urssaf au titre de l’année 2011 qui ont pour obligation de verser mensuellement leurs cotisations, contributions et taxes auprès de l’Urssaf doivent effectuer leurs déclarations sociales et le paiement, par voie dématérialisée, sous peine de majoration. A l’exception de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs, scientifiques et culturels.
A l’instar du cloud, du big data ou du BYOD (bring your own device), le passage à la dématérialisation n’est donc plus un « choix » mais une simple question de date, laquelle se compte en mois et non en années.
La question n’est donc pas de savoir si l’on va dématérialiser mais comment faire en sorte de prendre le moindre risque possible dans le cadre d’un projet de dématérialisation.
Or, la chose n’est pas si complexe sur un plan juridique, encore faut-il avoir conscience du chemin critique à adopter pour la mise en œuvre de ce type de projet :
1 |
Analyse préalable |
Définir le référentiel légal / contractuel / normatif Comprendre ses droits et obligations |
2 |
Etude d’impact |
En quoi le projet peut être impactant sur au moins deux aspects :
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3 |
Politique de gestion des documents électroniques |
Définition des règles du jeu en termes de dématérialisation et d’archivage des données
Adoption des « politiques techniques » – archivage / accès / horodatage / migration … |
4 |
Adaptation de la documentation interne |
Adaptation de la charte des systèmes d’information notamment sur la partie « archivage électronique » |
5 |
Convention de preuve |
Définition des dispositions contractuelles opposables aux clients ou aux fournisseurs pour que soient admises à titre de preuve les données numériques ou dématérialisées |
6 |
Convention de dématérialisation |
Définition des règles du jeu de la dématérialisation avec les éventuelles autorités de contrôle ou de tutelle |
7 |
Informatique et libertés |
Démarches préalables / Sécurité / Information des personnes / Gestion des flux |
8 |
Gestion du personnel |
Information des instances représentatives du personnel |
9 |
Assurance |
Vérification que les polices d’assurance « Maison » couvrent les nouveaux risques en termes de dématérialisation |
10 |
Comité dématérialisation |
La dématérialisation est un éternellement recommencement pour des raisons évidentes liées aux évolutions techniques, juridiques ou d’usage |
Conclusions très provisoires
Et dire que tout cela n’est qu’un début…
En effet, il suffit d’analyser les lois ou décrets en devenir (factures dématérialisées, convocation aux assemblées générales par les syndics de copropriété, …), les nouveaux usages, comme le contrat vocal et les nouvelles tendances, comme la suppression volontaire du papier, et l’on pourra approcher ce que sera la « révolution de la dématérialisation ».
Toutefois, alors que certaines législations des pays de l’Union européenne comme l’Italie ou l’Espagne connaissent un certain temps d’avance sur leurs voisins, notamment en ce qui concerne la suppression des originaux papiers, il conviendra certainement de procéder à une harmonisation des législations européennes afin d’instaurer le meilleur climat de confiance possible …
Eric Barbry
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