Article mis en ligne le 17 mars 2008
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Quel est le point commun entre les footballeurs professionnels, les grands chefs des restaurants et les vendeurs sur eBay ? Ils bénéficient tous d’une forme de notation ou d’évaluation accessible au public et ce phénomène devrait bientôt également concerner les ministres en exercice, même si leurs évaluations ne devraient pas être intégralement rendues publiques.
Avec Internet, ce type d’information autour de l’évaluation publique des professionnels semble devoir se développer dans le contexte plus global de la « gestion de la réputation en ligne ».
Pour autant, il ne s’agit pas d’un phénomène qui s’impose de façon naturelle et inéluctable. La vive polémique qui a suivi le lancement du site Note2be dédié à la notation publique des enseignants en témoigne.
Pilori numérique
Dans cette affaire, le sentiment qui a dominé était bien celui qu’on avait affaire à un « pilori numérique » ou à un système facilitant le dénigrement et la délation.
Saisi par un syndicat d’enseignants, le tribunal des référés, par une décision du 3 mars 2008, a obligé le site Note2be.com à supprimer toutes les données nominatives figurant sur le site. Autant dire qu’il s’agit d’une forme d’interdiction de la formule initialement envisagée par le fondateur. Ce dernier a déclaré qu’il fera appel et il conteste la décision au nom de la liberté d’expression et de la dimension naturellement participative du Web 2.0.
Quelques jours plus tard, la Cnil a considéré le site Note2be comme « illégitime au regard de la loi informatiques et libertés ». Au-delà de l’aspect notation, l’autorité de protection de la vie privée a pris notamment en compte que le lieu d’affectation de l’enseignant pouvait avoir une dimension confidentielle et que sa divulgation pouvait conduire à une menace sur son intégrité physique.
Plus originale a été l’action menée par des anti-Note2be afin de noter des professeurs fictifs et « pourrir » ainsi la base d’information de façon à décrédibiliser l’ensemble du contenu du site. Karl Marx et Achille Talon ont par exemple bénéficié d’évaluations très favorables.
Des sites à l’étranger
Fin de l’histoire ? Pas forcément car déjà de nouvelles initiatives fleurissent et il est désormais question d’évaluer les médecins, les professions juridiques ou les métiers du bâtiment. Par ailleurs, des sites d’évaluation des enseignants existent dans d’autres pays. Ratemyteachers.com est disponible non seulement aux Etats-Unis mais aussi au Royaume-Uni et en Irlande (où des syndicats enseignants avaient également tenté fin 2005 d’obtenir son interdiction). En mars 2008, le site annonce 11,4 millions d’opinions relatives à 1,4 millions de professeurs. Originalité du service, les évalués disposent de la possibilité de répondre. Ratemyprofessors.com revendique de son côté 6 millions d’opinions pour 1 million de professeurs. Quels seraient les moyens d’actions si ces sites ouvraient depuis les Etats-Unis une rubrique en français consacrée à la France ?
Il est vraisemblable que les opposants au site Note2be se situent dans deux catégories. Certains défendent l’idée, tout à fait acceptable, qu’il ne revient en aucun cas aux élèves d’évaluer les enseignants et que cette mission est le monopole de l’administration de l’Education Nationale. D’autres ne sont peut-être pas totalement opposés au principe mais ils remettent fortement en cause la méthode. Ils pensent : « pourquoi pas, mais pas comme cela ».
Il paraissait donc intéressant de réfléchir à ce que pourrait être un site d’évaluation public des enseignants que l’on pourrait considérer comme « légitime », pour reprendre le vocable de la Cnil, y compris et surtout du point du vue des enseignants.
Dans la logique de l’appel aux « rêves d’identité » lancé par la FING dans le cadre de son programme d’action « Identités actives », Cecurity.com se lance et propose des règles de fonctionnement d’un site de notation en ligne des enseignants. Conformément au règlement de l’appel aux « rêves d’identité », on n’abordera à ce stade ni la faisabilité technique ni la crédibilité du modèle économique associé au service rêvé. Le débat est ouvert et il mérite, semble-t-il, d’être posé : dans 10 ans les enseignants seront, pour partie, d’actuels collégiens qui se sont rués sans réticence pour alimenter Note2be.
Propositions de règles de fonctionnement d’un site de notation en ligne des enseignants
• Seuls les élèves d’un enseignant peuvent formuler une évaluation. Le site vérifie que l’internaute est bien élève de l’enseignant évalué.
• Le service d’évaluation n’est pas accessible aux élèves des écoles maternelles et primaires.
• Un élève ne peut formuler qu’une seule évaluation par trimestre. Le site vérifie que l’internaute n’a pas formulé une évaluation sur un enseignant au cours des trois derniers mois.
• L’anonymat de l’élève qui formule une évaluation est préservé.
• L’historique des évaluations pour un même enseignant est conservé.
• Dans un premier temps, seul l’enseignant évalué est destinataire des résultats de l’évaluation.
• L’enseignant décide du mode de diffusion de son évaluation :
– L’évaluation n’est pas diffusée ;
– L’évaluation est diffusée aux seuls élèves de l’enseignant et/ou à l’administration de l’éducation nationale ;
– L’évaluation est diffusée publiquement.
• L’enseignant peut opter pour une diffusion sélective :
– La diffusion de l’information selon laquelle il a été évalué sans divulgation de l’évaluation ;
– La diffusion de son évaluation en masquant son lieu d’affectation.
• En cas de diffusion publique ou restreinte de l’évaluation, l’enseignant a la possibilité de formuler ses commentaires.
Arnaud Belleil
Cecurity.com est partenaire du programme « Identités actives » de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération)
En savoir plus :
• Les sites étrangers d’évaluation des enseignants : http://www.ratemyteachers.com/ – http://www.ratemyprofessors.com/index.jsp
• Le déroulement de l’audience Note2be sur le blog de Maître Eolas : http://www.maitre-eolas.fr/2008/03/07/894-l-affaire-note2be-l-ordonnance-de-refere
• Quand les anti Note2be inventent de faux professeurs : http://contrenote2be.unblog.fr/2008/02/07/note2be-une-semaine-deja/
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