A l’heure où s’achève le tour d’Europe de la commission d’experts mise en place par Google pour réfléchir au droit à l’oubli sur internet, il semblait intéressant de revenir sur ce thème qui a pris une ampleur particulière depuis la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 13 mai 2014. Le droit à l’oubli peut être considéré comme un véritable progrès pour la protection de la vie privée. C’est aussi un sujet complexe qui suscite de nombreuses critiques. Tentative de clarification en 10 questions.
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Pourquoi parle-t-on autant du droit à l’oubli depuis quelques temps ?
Le droit à l’oubli (right to be forgotten) a été consacré par une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 13 mai 2014 (arrêt Google Spain). Un citoyen espagnol ayant fait l’objet de plusieurs articles négatifs en 1998 à propos d’une saisie immobilière a obtenu que les contenus incriminants ne soient plus référencés par Google. Ce droit s’applique aux informations qui seraient « inadéquates, non pertinentes ou excessives, non mises à jour ».
Le droit à l’oubli est-il un droit à l’effacement ?
La décision de la CJUE ne correspond pas à un droit à l’effacement d’informations préjudiciables mais à un droit au déréférencement qui doit être mis en œuvre par les moteurs de recherche. La page ne doit plus être accessible si l’on tape le nom et le prénom de la personne mais elle peut rester accessible via un moteur de recherche en tapant d’autres mots-clés. L’information ne disparait pas du web mais elle devient plus difficilement accessible.
La loi Informatique et Libertés prévoit-elle un droit à l’oubli ?
La Loi Informatique et Libertés de 1978 modifiée en 2004 ne prévoit pas, à proprement parler, un droit à l’oubli. Il y a bien, en revanche, une obligation pour le responsable de traitement de données à caractère personnel de ne pas conserver les données au-delà d’ « une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées. » On ne peut pas conserver des données personnelles sans limitation de durée.
Le droit à l’oubli est-il prévu dans le projet de règlement européen sur la protection des données personnelles ?
Le droit à l’oubli est l’une des principales nouveautés introduites par le projet de règlement européen sur la protection des données personnelles. Il s’agit bien d’un droit à l’effacement des contenus sur internet et les réseaux sociaux et non pas uniquement d’un droit au déréférencement. Le sujet fait l’objet d’un intense lobbying de la part des géants du web, le plus souvent américains, qui cherchent à en réduire la portée.
Le droit à l’oubli correspond-il à un véritable besoin ?
A la suite de l’arrêt de la CJUE, Google a mis en place un formulaire de demande de déréférencement. Le 23 octobre 2014, Google avait reçu 145 000 demandes émanant des différents pays européens dont 29 000 pour la France. Le sujet est, à l’évidence, important pour de nombreux internautes.
En quoi le droit à l’oubli correspond-il à un progrès ?
Pour Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente de la CNIL : « un internet qui n’oublie rien à quelque chose d’inhumain ». Le droit à l’oubli permet ainsi de ne pas être poursuivi et discriminé tout sa vie par des contenus préjudiciables pouvant parfois correspondre à des erreurs de jeunesse. Le droit à l’oubli c’est aussi, selon la formule de l’avocat Alain Bensoussan, « un droit à la remise à zéro. »
Le droit à l’oubli peut être considéré comme un moyen pour les individus de reprendre le contrôle de leurs données personnelles sur le net.
Quels sont les problèmes posés par la mise en œuvre du droit à l’oubli ?
La décision de la de la CJUE a fait l’objet de nombreuses critiques :
– En privilégiant de façon excessive le droit à la vie privée, elle remettrait en cause le droit à l’information. Ce serait une forme de censure ;
– Elle ouvrirait la voie à une instrumentalisation du droit à l’oubli permettant de réécrire l’histoire, voire de la falsifier ;
– Elle confierait à une société privée – Google – des pouvoirs exorbitants en lui demandant d’apprécier seule le bien-fondé des demandes de déréférencement. La CJUE aurait donné à Google les pouvoirs d’un juge ;
– La décision serait vague et laisserait une trop grande place à l’interprétation ;
– La décision ne concerne que l’Europe et les contenus resteraient trop facilement accessibles via la version américaine du site.
Quels critères sont pris en compte pour accepter ou refuser une demande de droit à l’oubli ?
Les premiers retours tendent à montrer que les demandes de déréférencement ne sont pas acceptées si :
– elle concerne une personne publique ;
– elle concerne des contenus relatifs à l’activité professionnelle ;
– elle concerne des contenus publiés par la personne elle-même.
Inversement, la demande aurait toutes les chances d’aboutir pour un anonyme victime d’un contenu publié par un tiers sur un sujet strictement d’ordre privé.
Le droit à l’oubli est-il un droit proprement européen qui s’oppose aux valeurs américaines ?
Bien des observateurs ont schématisé un antagonisme entre une Europe faisant prévaloir le droit à la vie privée au détriment du droit à l’information et les Etats-Unis qui auraient une position diamétralement opposée.
Richard J. Peltz-Steele, professeur de droit à l’université du Massachusetts, remet en cause cette vision dans une tribune parue le 21 novembre 2014 dans le Washington Post. Selon lui, il n’y a rien de plus américain que de pouvoir disposer d’une seconde chance dans un nouveau monde.
Ce pianiste croate a-t-il eu raison de s’adresser au Washington Post pour faire retirer un article en invoquant le droit à l’oubli ?
Juridiquement non, car le droit à l’oubli n’est reconnu que dans l’Union européenne. De plus, la demande aurait dû être adressée à Google, ou aux autres moteurs de recherche, et non au journal, naturellement sourcilleux sur le droit de la presse.
Pratiquement non, car son initiative a donné une visibilité bien plus importante à la critique négative dont il voulait obtenir le retrait.
Dans un registre proche, la BBC prévoit de publier la liste de ses articles ayant été déréférencés par Google en application du droit à l’oubli afin de leur donner une plus forte visibilité.
Arnaud Belleil
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