Article mis en ligne le 12 avril 2005
Des enseignants insultés et des élèves exclus : à la faveur de quelques affaires les adultes ont découvert que les ados bloguaient massivement et ces derniers ont découvert, avec stupéfaction, que leurs blogs étaient des publications en ligne soumises à la règlementation. Pour un adulte cette exposition au grand jour de photos et de commentaires personnels est assez déroutante. Est-ce une génération qui a définitivement fait le choix de la transparence au détriment de la protection de la vie privée ? A leur façon, les ados et pré-ados semblent pourtant adopter spontanément des stratégies de protection de leurs données personnelles.
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Lors de ce printemps 2005, les blogs ont eu les honneurs de l’actualité avec différentes affaires mettant en cause des collégiens ou des lycéens qui avaient eu la mauvaise idée de mettre en ligne des photos dérobées de leurs enseignants, agrémentées de commentaires particulièrement crus et désobligeants. Des exclusions ont été prononcées et la question du respect de la vie privée et du droit à l’image des personnes victimes des blogs a fait l’objet de nombreux commentaires.
Aux Etats-Unis le débat blog et vie privée est également d’actualité. Mais, curieusement, outre-atlantique il est plutôt question du respect de la vie privée et de la liberté d’expression des personnes qui alimentent les blogs, en l’occurrence de salariés qui peuvent être sanctionnés par leurs employeurs pour des propos tenus en ligne en dehors des heures de travail. La situation est apparue suffisamment grave pour que l’Electronic Frontier Foundation, une association dont l’objet est de défendre les libertés publiques dans l’univers du numérique, ait jugé utile de mettre en ligne, le 5 avril 2005, une série de conseil pour bloguer dans un anonymat relatif.
Revenons en France pour tenter de comprendre les raisons pour lesquelles des adolescents éprouvent le besoin d’exposer au public des photos et des commentaires très personnels, à première vue destinés à un cercle restreint de destinataires. Pour un adulte cette exposition au grand jour de photos et de commentaires est assez déroutante.
Pourtant, sur la base de l’observation d’un échantillon de proximité, restreint et absolument pas représentatif, il semble que, dans la pratique, les ados, pré-ados voire jeunes enfants blogueurs ne réalisent pas qu’ils s’expriment dans un espace public. Pour eux, le blog est le prolongement naturel de la messagerie instantanée – en l’occurrence MSN – qui est elle-même une variante, plus économique, de la communication par SMS. Il y a dans la pratique un véritable continuum entre la messagerie instantanée, protégée par le secret de la correspondance et le blog, sans prise de conscience du passage dans un espace public de communication. De là proviennent sans doute la plupart des incompréhensions actuelles.
Comme le faisait récemment remarquer Martine Briat du GIE CB, lors d’un récent séminaire consacré à l’identité numérique qui s’est déroulé au Ministère de l’Industrie, on peut toutefois se demander si les jeunes générations ne font pas désormais prévaloir le principe de transparence avant celui de protection de la vie privée. L’usage d’Internet aurait ainsi exporté en France une hiérarchie des principes qui est historiquement plutôt celle en vigueur aux Etats-Unis. Il est peut-être encore un peu trop tôt pour trancher définitivement en faveur de cette thèse. Il suffirait sans doute que les gestionnaires de droits de propriété intellectuelle se fassent un peu trop intrusifs dans leur chasse aux fichiers MP3 téléchargés en P2P pour que toute une génération redécouvre rapidement les charmes du droit à la confidentialité.
De plus, à leur façon, les ados adeptes des skyblogs protègent leur vie privée et leurs données personnelles. Les URL abscons des blogs sont déterminés par les utilisateurs ce qui les rend en principe inaccessibles aux non initiés. Ils se dissimulent également en utilisant massivement les pseudos et en pratiquant une langue incompréhensible pour les adultes qui s’apparente finalement à une forme de chiffrement. lol, mdr.
Arnaud Belleil
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