Le dossier médical personnel une liste non exhaustive de quelques questions en suspens

Article mis en ligne le 2 février 2005

D’ici la mi-2007, tous les assurés disposeront, théoriquement, d’un Dossier Médical Personnel (DMP) qui permettra de mieux soigner, en dépensant moins dans le respect du secret médical. L’objectif est ambitieux, le calendrier particulièrement serré et le flou parfois persistant. Pour apporter une contribution à ce vaste projet, Cecurity.com se propose de dresser une liste non exhaustive de quelques questions en suspens.

1) Quelles limites au droit de propriété du patient sur son dossier ?

« Le dossier médical appartiendra au patient » est-il indiqué sur le site officiel consacré à la réforme de l’Assurance Maladie. Cette reconnaissance de l’équivalent d’un droit de propriété du patient sur le contenu de son dossier de santé ne pourra pourtant pas être absolu. Difficile d’imaginer que la patient puisse imprimer l’équivalent d’un « certificat de bonne santé » pour un employeur, qu’il puisse détruire les données, les modifier, les exporter dans un paradis numérique, les vendre, les utiliser pour lancer un « appel d’offres » à plusieurs cliniques, etc. Il y aura des limites mais qui les fixera, quand et selon quels critères ?

2) Quelle solution pour les patients qui ne sont pas entièrement responsables ?

C’est clair, avant seize ans il n’y aura pas de DMP. Cela règle pour le moment le problème du responsable du DMP pour les enfants en bas âge. Mais dès à présent, est-il possible de prétendre que le DMP appartient au patient quand celui-ci ne dispose plus ou pas de toutes ses facultés. Qui aura la maîtrise du DMP des personnes atteintes d’une maladie mentale ? Des personnes séniles ? Et au-delà de l’ensemble des personnes placées sous tutelle ou sous curatelle ? Là encore il faudra fixer des règles et des « seuils ». Qui ? Quand ? Comment ?

3) Comment vaincre les réticences du corps médical à propos du droit de propriété reconnu au patient ?

Les observateurs en conviennent : souvent, les médecins n’acceptent pas de gaieté de coeur la reconnaissance du « droit de propriété » du patient sur son dossier médical, pas forcément pour de mauvaises raisons d’ailleurs. Comment sera-t-il possible d’ici la généralisation du DMP de vaincre cette réticence culturelle profondément ancrée ? Comment éviter la prolifération de doubles dossiers médicaux : les uns complets, explicites et clandestins, les autres accessibles et édulcorés ?

4) l’accès au DMP dans les cas d’urgence sera-t-il possible ?

« Le patient (…) déterminera qui, en dehors de lui-même, pourra y accéder (…) » : pour défendre au mieux la vie privée du patient, il n’est a priori pas possible de permettre à un professionnel de santé d’accéder au dossier médical quand cela est le plus utile : en cas d’urgence. Les urgentistes auront-ils finalement un peu le droit de farfouiller des les portefeuilles et les tiroirs pour dénicher au plus vite la Carte Vitale 2 ? A noter qu’un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de juin 2004, non suivi, envisageait l’usage des empreintes digitales pour accéder au DMP de façon à pouvoir l’ouvrir dans les cas où le patient serait inconscient.

5) Le patient pourra-t-il déterminer des accès différenciés selon les médecins concernés ?

Tous les professionnels de santé ne représentent pas pour le patient une population homogène. La presse a ainsi popularisé cette question d’un accès différencié aux différentes rubriques du DMP, géré par le patient, avec des formules du style : « mon ophtalmo n’a pas besoin de savoir pour ma dépression » ou « mon dermato a-t-il vraiment besoin d’accéder aux informations sur mon IVG ? ». On pourrait imaginer un contrôle des accès, une « gestion des habilitations », maîtrisé par le patient mais cela ne sera pas simple à mettre en oeuvre, surtout dans les délais prévus.

6) Et si la Carte Vitale 2 n’était pas prête à temps ?

« La nouvelle carte Vitale sera la clé qui permettra d’autoriser l’accès ((…) au dossier médical personnel ». Cette nouvelle carte Vitale est différente de la génération actuellement en service. D’une part il s’agit d’une carte patient et non, comme aujourd’hui, d’une carte d’assuré (qui peut concerner plusieurs patients) et d’autre part elle sera dotée d’une photo et d’ « éléments de biométrie ». Clairement, la nouvelle carte Vitale sera la clé du DMP ? Que se passera-t-il si le chantier de la carte Vitale prend du retard ?

7) Et si les hébergeurs de données de santé n’étaient pas prêt à temps ?

Les données du dossier de santé seront hébergées auprès d’un « hébergeur de données de santé à caractère personnel ». Selon la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé, l’activité de ces professionnels doit être règlementée. Or, le décret permettant de préciser les modalités de la procédure d’agrément n’est pas encore paru. Il faudra donc faire vite pour publier le décret, permettre aux industriels concernés de s’adapter puis mener à bien, avec la rigueur nécessaire, les procédures d’agrément. Dans la mesure où le patient devra avoir le choix entre plusieurs hébergeurs, il faudra accorder l’agrément à plusieurs hébergeurs. Que se passera-t-il si la procédure d’agrément, qui ne peut être menée dans la précipitation, prend du retard comme c’est déjà le cas pour la parution du décret ?

8) Les objectifs de qualité des soins et de maîtrise des coûts sont-ils conciliables ?

Un des objectifs du DMP est d’aboutir à une maîtrise des coûts notamment en évitant de démultiplier inutilement les examens redondants. Un des autres objectifs est d’aboutir à une meilleure qualité des soins grâce au suivi du patient. Les deux objectifs sont louables, mais sont-ils compatibles ? Les professionnels de santé ayant le sentiment que le DMP sera « regardé » dans une optique de maîtrise financière ne feront peut-être pas preuve d’un zèle excessif pour y inscrire toutes les informations qui pourraient y figurer. Là encore, on risque d’avoir un DMP officiel, irréprochable sur le plan des dépenses engagés et un « vrai » dossier parallèle, inaccessible aux comptables

9) Comment reprendre l’historique des dossiers papier ?

Pour être efficace, le DMP ne va pas commencer de zéro à partir de 2007. Il devrait avoir vocation à reprendre les éléments d’information existants relatif à un patient. Selon, Caroline Buscal consultante spécialisée de la société Serda, qui s’exprimait sur la question lors d’un débat public ce n’est pas simple. Dans un CHU, on trouve habituellement de 1,4 à 2 millions de dossiers patients (soit 35 à 50 kms linéaires d’archives papier). Et à l’intérieur des dossiers : « du coupé, du collé, de l’agrafé, du pas signé, du pas daté ». Un véritable bric-à-brac !

10) L’archivage électronique des données de santé ne va-t-il pas conduire à une « judiciarisation » des pratiques médicales ?

Une fois déployé, le DMP permettra de conserver les données de santé au format électronique avec les avantages traditionnellement attachés aux services de confiance : traçabilité, authentification, intégrité, datation certaine, etc. Ils risquent de devenir de facto les serveurs de preuve qui seront constamment sollicités dans un contexte de judiciarisation (ou d’américanisation) croissante des rapports entre les patients et les professionnels de santé. Cette évolution est-elle souhaitée ? A moins quelle ne soit considérée comme inéluctable ce qui renforcerait la nécessité du DMP.

11) La mise en en place du DMP dans les hôpitaux peut-elle être perturbée par les projets de dématérialisation déjà engagés ?

Comme les autres personnes publiques, les hôpitaux sont engagés dans le vaste chantier de la dématérialisation des procédures avec notamment la mise en oeuvre de solutions pour accepter les réponses à appels d’offres transmises par voie électronique (c’est une obligation depuis le 1er janvier 2005). Dans quelle mesure sera-t-il possible de mener de front le chantier du DMP et celui de la dématérialisation qui impacte déjà significativement les systèmes d’information ? A moins qu’il ne s’agisse du même projet, ce qui serait une façon de rendre les choses à la fois plus simple et beaucoup plus compliquée.

12) La mise en place du DMP dans les hôpitaux peut-elle se faire à budget constant ?

Dans la suite logique de ce qui précède, on a pu relever à la lecture du récent rapport d’information du sénateur Jean Arthuis consacré à « l’informatisation de l’Etat », que « les dépenses informatiques ne représentent que 1,5 % de la dépense hospitalière en France, alors que leur part atteint 8 % aux Etats-Unis. » La mise en oeuvre du DMP sera sans doute l’occasion de procéder à un rattrapage. A budget constant ? Si oui, où s’effectueront les coupes ?

13) Pour finir, et si les français étaient aussi « mauvais » que les britanniques ?

Dans un article d’octobre 2004, Le Monde indiquait que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne s’étaient accordés de 7 à 10 ans pour mener un chantier de même nature que celui du DMP en France. Dans ces pays, il est d’ailleurs plutôt question de dépenses que d’économies. On peut se réjouir d’être incomparablement plus efficace que nos voisins britanniques. Cependant, dans le cas de figure hypothétique où la mise en place du DMP se ferait en France sur un calendrier et un budget proche du modèle britannique, des révisions seront à l’ordre du jour. Et notamment, il importera de savoir qui paiera les surcoûts.

Arnaud Belleil

En savoir plus :

Loi du 13 août 2004 relative à l’Assurance Maladie. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=SANX0400122L

Extrait du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) de juin 2004. http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-off/i1686-t1.asp#P582_75198

Daniel Kaplan, « Dossier Médical Partagé » – mais avec qui ? . 26 mai 2004. http://www.internetactu.net/index.php?p=4768

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